Je rends ici hommage à Catherine M., enseignante dans une ville de la Montérégie pendant les années 1990, aujourd’hui à la retraite.

Chez nous, les petits livres verts étaient usés, écornés, consultés régulièrement pour ne pas dire chaque jour par mes deux fils dissipés. Ils ont eu à tour de rôle cette enseignante qui avait trouvé au Bescherelle un usage original ; grâce à elle, ils ont appris leurs conjugaisons sans coups de baguette sur les doigts, mais bien avec des crampes dans la main droite.

Dotée d’un calme olympien et détestant élever la voix, Catherine avait mis au point une méthode hautement pédagogique pour discipliner sa classe de jeunes ados de sixième année. Lorsque l’un d’entre eux décidait de perturber la classe, il était condamné à copier à tous les temps, soit du présent de l’indicatif au plus-que-parfait du subjonctif, le verbe relié à l’offense : bousculer, déranger, insulter, rire (au mauvais moment), retarder, la liste pouvait être longue. Dans la classe de Catherine, ils étaient nombreux à savoir par cœur que, dans le Bescherelle, « bavarder » était un 7, « se battre » un 64 et « courir » un 37.

De « je perturbe la classe » à « que nous bavardions dans les rangs », imaginez le soupir de soulagement du condamné qui arrivait à « qu’ils eussent oublié leur devoir ».

La copie devait être remise le lendemain sans faute. Un oubli entraînait une double copie le soir suivant. Il arrivait bien sûr que l’écolier se retrouve avec plus d’un verbe à conjuguer le même soir. Mes fils aimaient apprendre à la dure ! Et moi, mère indigne, je n’ai jamais eu une once de compassion pour les coupables. Pire ! C’est avec nostalgie que je les revois travailler, leurs têtes brunes penchées sur le papier ligné une grande partie de la soirée, s’arrêtant seulement pour se masser le poignet et les doigts.

Le lendemain, Catherine vérifiait les copies. Et dans un grand geste, la cruelle déchirait en deux les feuilles pour les jeter au panier.

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