—  J’ai besoin de ton aide !

Jean adore quand Marie-Laure, la plus charmante de ses collègues, vient ainsi le « déranger » dans son bureau (oui, il y a des guillemets, et parfois aussi des points et des virgules dans les pensées de Jean). Comme d’habitude, Marie-Laure tient entre ses mains l’offre d’emploi d’un client illettré. Jean interprète les visites de la jeune femme comme un prétexte, une façon détournée de lui signifier qu’elle a besoin de lui.

— C’était pour hier. Peux-tu me faire ça rapidement ?

Jean acquiesce avec sang froid. Viennent ensuite les mots jouissifs que Marie-Laure prononce toujours à la perfection :

— Merci, Jean. Tu es mon sauveur !

Il n’en faut pas plus pour galvaniser l’âme guerrière de Jean, qui s’empresse de sortir son stylo rouge pour contrer, une erreur à la fois, le massacre de sa langue chérie.

Karaktère Marketing Inc. est à la recherche de candidats pour combler un poste d’assistant marketing bilingue.

Bien qu’il ait la tentation de porter un coup fatal aux k de Karaktère, Jean se retient. On ne peut corriger l’orthographe de la raison sociale d’une entreprise, même si on estime ridicule sa façon de vouloir se démarquer. Cependant, Jean n’hésite pas à inscrire une note à côté de « Inc. ». En français, on écrit ce mot abrégé avec une minuscule : « inc. »  Ensuite, notre croisé de la langue assassine le verbe « combler », si mal utilisé dans les offres d’emploi. En effet, on ne peut pas « combler un poste », mais on doit assurément « pourvoir un poste » ! « Dans le monde du travail, se dit Jean, les seules manières  de vraiment nous combler viendraient de rouquines à la peau laiteuse et aux yeux de ciel de mai… » Alors, il continue le combat…

En travaillant pour notre filiale montréalaise, vous aurez l’opportunité d’évoluer dans un environnement stimulant.

Il pique « opportunité » au cœur. Ce mot est un anglicisme dans ce contexte (de même que des expressions comme « opportunité d’affaires » ou « opportunité d’avancement », par exemple). En français, lorsqu’on évalue « l’opportunité d’une mesure », on discute de son caractère opportun ou du fait qu’elle convienne ou non à la situation. Pour remplacer le mot fautif, Jean écrit deux suggestions dans la marge : « occasion favorable » et « chance ». En traçant ces mots, il sourit et poursuit sa révision, qui plaira sans aucun doute à Marie-Laure.

Le candidat choisi devra quotidiennement supporter la directrice du département de marketing dans ses tâches et devra s’impliquer au niveau de la clientèle.

Jean laisse son crayon en suspens au-dessus du verbe « supporter ». Si la directrice est une femme pénible que l’on endure comme on traîne un fardeau, c’est le bon verbe. Mais ce n’est évidemment pas ce que l’employeur voulait exprimer. Encore un anglicisme ! Ici, il faudrait choisir entre les termes « soutenir », « aider », voire « appuyer ». Décidément, celui qui a rédigé cette annonce n’est pas un écrivain de haut niveau. Parlant de niveau, la locution conjonctive « au niveau (de) » est fautive dans ce cas. L’usage correct implique une idée de hiérarchie (on peut développer une politique au niveau municipal ou provincial), de degré ou de hauteur (on peut avoir les coudes au niveau de la table). Jean biffe l’erreur et la remplace par « auprès de ». Dans un autre contexte, il aurait pu choisir des expressions comme « en ce qui concerne », « en matière de », « sur le plan de »…

Jean a terminé la révision de l’offre d’emploi. Il se sent aussi heureux que s’il avait combattu toute une armée. Marie-Laure pourra être fière de lui.

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