L’éditeur français du Bescherelle lançait en août 1997 une nouvelle édition destinée au marché français et international incluant des régionalismes d’Afrique, de Belgique et du Québec. Or, les québécismes cités par centaines dans le guide de la conjugaison étaient tirés du Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron. Parmi les 608 verbes sélectionnés, la plupart n’étaient même pas formellement reconnus par les Québécois. On pouvait alors y trouver les verbes apprivouéser, anvaler, acmoder, néteyer et haguir.

Le  17 décembre 1997, Hubert Séguin, professeur à l’Institut des langues secondes de l’Université d’Ottawa, écrit dans Le Devoir :

« Ce choix relève ou de l’ignorance ou de la condescendance ou de la naïveté (comme celle du touriste s’exaltant devant le pittoresque de la misère parce qu’elle a l’exotisme de l’ailleurs). Peu importe la raison : ce qui est grave, c’est que ce manuel de référence et d’apprentissage, le plus gros « vendeur » (peut-être après la Bible) de l’édition française, qui soudain nous inclut et nous implique, va couvrir la planète, se retrouver dans bon nombre de foyers francophones et francophiles, et donner de la langue québécoise (et française) une image biaisée, étriquée et peu fidèle de l’usage qu’il en est fait ici dans les différentes couches de la population[1]. »

En somme, Hubert Séguin soulignait l’absence de rigueur taxinomique et la « lexicologie douteuse » de cette version du Bescherelle. Sa consternation était d’autant plus vive que le contenu avait été approuvé par le linguiste Michel Arrivé.

Dans un autre article de la même édition du Devoir, la journaliste Paule Des Rivières donnait la parole à Hervé Foulon, président-directeur des Éditions Hurtubise HMH. « J’étais en accord avec le principe d’ouvrir sur des spécificités québécoises mais totalement en désaccord avec l’idée de s’appuyer sur le dictionnaire de Léandre Bergeron[2]. » M. Foulon avait refusé de distribuer cette édition contestée du Bescherelle.  D’ailleurs, il en préparait une autre, destinée au marché québécois et canadien. Celle-ci inclurait des québécismes de bon aloi, basés sur les usages acceptés à l’Office de la langue française.

Dans les jours suivants, l’Office de la langue française a réagi à la polémique en déplorant l’initiative de l’éditeur français. Également, plusieurs journalistes, dont Franco Nuovo et Agnès Gruda, écrivent à ce propos. Partout, on s’étonnait qu’un livre réputé donne une aussi piètre image de la langue française parlée au Québec.

Enfin, en mars 1998, la controverse s’est conclue par le lancement du nouveau Bescherelle des Éditions Hurtubise HMH à Montréal. La polémique a porté fruit, car Hatier a procédé à une réédition en s’appuyant sur la version Hurtubise HMH. En effet, sur les 608 verbes présents dans l’édition originale, seulement 17 ont été conservés.

Près de 25 ans après, le Bescherelle est toujours la référence en matière de conjugaison. Et les Éditions Hurtubise auront contribué dans cette « bataille » à préserver cette réputation. Depuis, elles maintiennent ce haut niveau de qualité tout en étant attentives à l’évolution de la langue française.

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[1] Hubert Séguin, « Le Bescherelle nouveau s’en vient : ouatchez-vous ! », Le Devoir, 17 décembre 1997, p. A9.
[2] Paule Des Rivières, « L’art de conjuguer en joual », Le Devoir, 17 décembre 1997, p. A1.

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