En tant qu’éditrice de romans, je reçois régulièrement des messages de lecteurs et de lectrices attentifs, qui ont relevé des coquilles ou même des fautes dans certains livres. Je leur en suis très reconnaissante, car cela permet d’effectuer les corrections lors des réimpressions. Cependant, il arrive parfois que les « erreurs » indiquées n’en soient pas et témoignent plutôt d’un usage peu fréquent, d’où découle une méconnaissance de la grammaire.

Ainsi, plusieurs lecteurs ont cru noter une inexactitude dans des phrases conjuguées au présent de l’indicatif et construites avec inversion du sujet « je » (prenons l’exemple de décidé-je qui a pu leur paraître fautif). Or, lorsque le verbe conjugué au présent se termine par un e muet à la première personne du singulier (ce qui est le cas de presque tous les verbes du premier groupe), on doit l’écrire avec un accent aigu, tout en le prononçant comme s’il portait un accent grave*. Voici quelques autres exemples :

« Cette robe me va divinement bien, pensé-je en m’admirant dans le miroir. » (se prononce pensè-je)

« Quelle magnifique journée ! m’exclamé-je. »

On utilise le même principe dans les phrases interrogatives :

« Dansé-je aussi bien qu’elle ? »  (se prononce dansè-je)

« Pourquoi hésité-je à partir en voyage ? »

« Quel est le meilleur itinéraire ? me demandé-je. »

En effet, sans cet accent qui peut paraître bizarre, la phrase serait imprononçable : « pense-je, danse-je, hésite-je ou demande-je » se disent assez mal. On le dit peu, d’ailleurs, car cette tournure est essentiellement littéraire. Dans le langage parlé, les interrogations s’énoncent plutôt ainsi :

« Est-ce que je danse aussi bien qu’elle ? » ou « Pourquoi est-ce que j’hésite à partir en voyage ? »

Rappelons que cette règle s’applique aussi à l’imparfait du subjonctif des verbes du troisième groupe, mode lui aussi essentiellement littéraire et peu utilisé. Voici quelques exemples tirés de la littérature :

« Il faut que je m’appuie contre le poêle, dussé-je passer par la fenêtre ! » réclame le Bonhomme de neige du conte d’Andersen.

« Quels traitements cruels n’eussé-je point essuyés ? » s’indigne Jean-Jacques Rousseau dans Les confessions.

*Mentionnons enfin que la réforme de l’orthographe de 1990 comporte une recommandation à ce sujet. En effet, puisque le é se prononce en réalité è dans ce cas particulier d’euphonie, elle propose de remplacer l’accent aigu par un accent grave.

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