Il existe en français un « ne » dit explétif : cela signifie que son emploi ne modifie pas la phrase positive en une phrase négative. Il s’utilise pour l’élégance de la proposition, n’altère pas le sens de l’énoncé et se rencontre quasiment exclusivement dans la langue écrite, ayant pratiquement disparu de la langue parlée. Du reste, tous les exemples illustrant ce propos sont extraits de la littérature. Il faut en outre signaler que, dans Le bon usage, son célèbre ouvrage de référence si précieux à tous les grammairiens, Maurice Grevisse se réjouit de la suppression progressive de cette particule inutile qu’il qualifie de parasite. En effet, sa présence s’explique uniquement par le fait que la phrase contient une « idée négative ». Pour résumer, on la relève seulement dans certaines subordonnées introduites par la conjonction « que » et dans les cas suivants :

  • La phrase principale est positive et contient un verbe exprimant la peur, la crainte (tel que : appréhender, avoir peur, craindre, redouter, trembler, etc., ou une locution conjonctive signifiant la même chose, comme : de crainte que, de peur que, etc.).

Ainsi, par exemple, dans la nouvelle intitulée Le manuscrit d’un médecin de village, pour formuler le désespoir de son héros incapable de soulager son jeune malade mourant, Anatole France lui fait dire : « Je craignais que mes soins ne fussent mauvais. »

À noter que la subordonnée est alors construite au subjonctif.

  • La phrase principale contient un verbe de peur, et est à la fois négative et interrogative. Voilà, par exemple, comment s’inquiète Topaze, l’honnête maître d’école devenu homme de paille malgré lui dans la pièce éponyme de Marcel Pagnol : « Tu ne crains pas qu’il nenvoie des échos aux journalistes ? »

Attention : après un verbe de peur employé négativement, il ne faut pas ajouter un « ne » ; voir, par exemple, Andromaque, dans la tragédie de Racine, quand elle s’écrie à propos de son fils : « Hélas, on ne craint point qu’il venge un jour son père. »

  • La phrase principale est positive ou négative, et contient un verbe exprimant l’évitement, l’empêchement, la défense, la précaution (tel que : empêcher, éviter, prendre garde). Marivaux s’exprime de la sorte, lorsque Jacob, le héros de son roman-mémoires intitulé Le paysan parvenu, critique le manuscrit licencieux d’un jeune auteur : « Tout ce que je dis là n’empêche pas qu’il n’y ait de jolies choses dans votre livre… »
  • La phrase principale est une comparaison d’inégalité (construite avec : plus que, davantage que, moins que, mieux que, autre que, autrement que, meilleur que, moindre que, pire que, plutôt que, etc.). Ainsi l’écrit Jean-Paul Sartre, dans Les mots, le récit ironique qu’il livre de son enfance : « Leurs cas de conscience, complaisamment exposés, me troublaient moins qu‘ils ne m’édifiaient… » et plus loin « J’introduisais dans ma tête, par les yeux, des mots vénéneux, infiniment plus riches que je ne»
  • Après certaines locutions conjonctives (telles que : avant que, depuis que, à moins que, etc.) Voici un exemple, tiré du l’essai La difficulté d’être du poète Jean Cocteau : « Il existait un monde où l’artiste trouve avant qu’il ne cherche », et un autre, relevé dans la fable de Jean de La Fontaine, Le Lièvre et les Grenouilles: « Un Lièvre en son gîte songeait (Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?) »
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